APPELS

 

Parcours, récits et arts

Mémoire vivante d’exilés.

Colloque international

Chaire Francophonies et Migrations (projet LAMVEC)

Céres, Institut Catholique de Toulouse

24 et 25 octobre 2024


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Les voyageurs sans bagages que sont les exilés traversent les embûches de leur périple seulement porteurs de leurs espoirs d’une vie meilleure et de leur mémoire. Si l’entreprise réussit, l’impératif d’en conserver vivace le parcours se manifeste, tout comme celui de retrouver quelques bribes de souvenirs, parfois de les consigner, afin de ne pas perdre son identité fondamentale. La mémoire se fait sélective le plus souvent, parfois jusqu’à l’idéalisation du passé et élève le pays quitté au-delà de sa vérité, ou, le plus souvent, lui accorde les couleurs de l’enfer heureusement abandonné.

En effet, dans la reconstitution d’une vie antérieure, les affects prennent une part considérable, d’autant que le parcours suivi a été violent, difficile et traumatisant. La littérature francophone abonde des récits de ces voyages imposés par la famine, la guerre ou l’impossible liberté. Une géographie étrange y apparaît, commandée par les impératifs des passeurs, les dispositions des Etats qu’il faut traverser avant de rejoindre la convoitée Europe. Le tracé est révélateur des situations géopolitiques, en particulier en Afrique, région qui sera particulièrement envisagée.

Si une majorité de migrants écrivent, d’autres confient leurs déboires et leurs espérances sur la toile en peinture, gravés dans le cuivre, ou s’emparent de tout matériau dont ils disposent pour que leur art transcende le vécu, l’élève en exemplaire et exprime tout ce que les mots seraient impuissants à dire. L’art se fait révélateur des angoisses, des souffrances, mais aussi crie au monde les racines du mal qui les a contraints à quitter leur espace d’origine. En mettant en forme des événements, des situations spécifiques, l’art permet une lecture autre, plus directe que l’écrit puisqu’il ne passe pas par le filtre de l’interprétation des mots, mais jaillit concrètement dans un premier temps aux yeux du spectateur. Plus agressif, plus évocateur, il expose au sens premier une vérité, non pas absolue, mais telle qu’elle a été ressentie.

Dans ce contexte on peut également envisager une écriture géographique des parcours migratoires. Celle-ci s'impose en effet comme une dimension essentielle dans la narration de l'expérience migratoire. Le tracé des itinéraires des personnes en migration donne naissance à une cartographie vivante, révélatrice des enjeux géopolitiques et des réalités complexes qui façonnent le voyage. L’Afrique se dévoile tout particulièrement comme un théâtre où se mêlent les impératifs des passeurs, les frontières nationales, les conflits régionaux et les conditions environnementales, autant de forces qui influencent les trajectoires migrantes.

Les récits littéraires et artistiques mettent ainsi en lumière ces aspects géographiques, dévoilant les obstacles et les détours imposés par les frontières, des zones de conflit ou des pays en proie à la misère. Les cartes mentales des migrants se dessinent à travers des paysages où chaque relief, chaque frontière, chaque point d'eau devient un repère crucial. L'écriture géographique devient ainsi une manière de dévoiler les affres mais aussi les opportunités qui structurent le voyage.

En outre, cette écriture géographique dépasse la simple description des lieux physiques ; elle explore en effet les espaces émotionnels et psychologiques associés à chaque étape du périple. Les villes traversées, les camps, les déserts deviennent en quelque sorte les pages d'un atlas émotionnel où peur, espoir et désespoir s'inscrivent au plus profond des coordonnées de l'expérience humaine.

Dans cette démarche, l'art devient alors une forme de cartographie visuelle des parcours migratoires. Les peintures, sculptures et autres formes artistiques traduisent les contours fluctuants des territoires traversés, tout en exprimant les émotions qui accompagnent chaque étape. Les artistes en migration transforment ainsi l'espace géographique en un espace de mémoire où le trait, la couleur, la forme constituent le témoignage d'une réalité vécue.

L’écriture géographique des parcours migratoires enrichit par conséquent la compréhension de l'expérience migratoire en dévoilant les intrications complexes entre les itinéraires individuels et les dynamiques géopolitiques. Tour cela nous invite à envisager la migration non seulement comme un déplacement physique, mais comme un tout dans lequel l’expérience humaine constitue le centre et non la périphérie.

Au cœur de cette matière humaine et vivante, le droit a pour tâche de formaliser et de qualifier ces parcours de vie transnationaux, qui associent le voyage à un traumatisme initial et générateur, souvent amplifié par les malheurs de l’exil. Au titre des protections internationales, les textes comme la Convention de Genève relative au statut de réfugié de 1951 ainsi que les institutions de l’asile, internationales comme l’UNHCR ou nationales comme l’OFPRA et la CNDA, se retrouvent donc placées au cœur d’un processus interculturel d’accueil, d’audition, d’examen et d’évaluation de récits individuels.

Au risque de l’incompréhension de profils rares ou atypiques, une politique et une jurisprudence de l’asile permet ainsi d’estimer non la vérité, mais la vraisemblance et la crédibilité des récits des exilés demandeurs de protection. Dans cette activité de reconstruction du profil du demandeur, les juristes mobilisent des connaissances psychologiques, sociologiques, géographiques, religieuses, historiques et politiques, voire ethnologiques, pour apprécier la demande de protection et lui apporter une réponse, positive ou négative. Ce caractère hybride du droit des réfugiés, au carrefour des autres sciences sociales et comportementales, est en soi un sujet d’intérêt pour comprendre l’importance de la mémoire passée de l’exil et ses conséquences pour les personnes en cause.

Au-delà de l’admission et de la reconnaissance d’une protection internationale, se pose ensuite la question de la mémoire vivante du réfugié : comment intégrer dans nos sociétés des personnes polytraumatisées et reconnues comme vulnérables, sinon comme des victimes ? Le bilan anthropologique de l’accueil sous ses diverses formes complète et éprouve les droits proclamés, et ceci alors que de nouvelles expériences (relocalisations, couloirs universitaires) sont initiées.

Plusieurs axes en découlent, mêlant dans une perspective interdisciplinaire en sciences sociales des questions littéraires, psychologiques, géographiques et juridiques :

-       La géographie des parcours migratoires

-       Migrants africains et tableau de l’Afrique

-        Mémoire, art et imaginaire

-       Réception de la mémoire des migrants

-       Récits des réfugiés : expression et audition, formalisation et qualification juridique

-       Accueil et intégration des réfugiés dans le pays d’accueil

-       L’établissement de voies sûres et légales d’accès à la protection dans l’Union européenne et les projets-pilotes de corridors universitaires

-       Racines des exilés et droit au retour

 

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Les propositions sous forme de résumés (2000 signes maximum) devront parvenir avant le 1er  juin 2024 à :

contact@chaire-francophonies-migrations.fr

 

Le conseil scientifique statuera le 15 juin 2024

 

Une bibliographie des ouvrages étudiés/consultés ainsi qu’une notice biographique seront vivement appréciées.


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COLLOQUE INTERNATIONAL
Universität de Lleida - Institut Catholique de Toulouse
Departament de Llengües i Literatures estrangeres 
Chaire Francophonies et Migrations
 
Dans le cadre du projet Les Afriques, Mouvements, Vulnérabilités Et Créativité (LAMVEC)
 
Lleida, 11-12 juin 2024
 

Reconfigurations identitaires : mémoire et construction nationale à l'époque de la mondialisation

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Au tournant du XXe siècle, le philosophe Zygmunt Bauman constatait avec inquiétude la réticence des sociétés modernes face aux défis d’un nouveau siècle : sous les effets d’une « épidémie » nostalgique née de l’insécurité générale, l’individu cherchait refuge dans le passé rassurant parce que mythifié. Cette société en mal d’avenir semble aimantée par le passé et se livre alors à la fièvre de la commémoration, que Paul Ricoeur - soucieux de porter un regard attentif aux liens entre histoire et mémoire - a déjà décrite dans La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli
La notion de mémoire est devenue une exigence, un «devoir», pour parler avec Sébastien Ledoux. L’individu cherche à comprendre son histoire et celle des autres : il construit son être et explique ses rapports à la société à l’heure de circonstances historiques. Pour cette opération mémorielle il ne suffit pas de présenter des souvenirs en témoignage, mais de bâtir une évocation à part entière du passé. Dès lors la rétrotopie, un mouvement rétrograde qui manifeste son engouement vers un monde prétérite, emporte l’utopie. Les contemporains, autrefois assoiffés de progrès, visant un ailleurs meilleur sous un nouvel ordre social, retournent à leurs tribus. Les technologies aidant, de petits clans émergent sans cesse.
Dès nos jours, cette manière de cerner le monde s’inscrit aussi dans la pensée africaine. En raison de sa grande diffusion, la littérature est devenue un des moyens les plus féconds. Du point de vue artistique, trois périodes jalonnent la littérature africaine : une première au début du XXe siècle, où les textes rapportaient avec complaisance les effets de la colonisation ; une deuxième, vers les années 30, marquée par les revendications de la Négritude où les auteurs voulaient prouver que leurs civilisations étaient à la hauteur de la culture occidentale ; une troisième qui, par le dépassement des deux précédentes, tient à porter réponse aux modes de vie contemporains. Après les indépendances, les intellectuels ont été en mesure de changer de ton pour se réapproprier de l’histoire de l’Afrique sous un angle plus critique que celui des aînés. Se réclamant d’une « littérature-monde », capable de s’ouvrir vers des horizons transnationaux, l’écrivain, le penseur africain a les mêmes préoccupations historiques et idéologiques que les autres homologues des continents voisins. Voilà pourquoi au début des années 90, le jeune réalisateur burkinabé Idrissa Ouedraogo rejetait d’être inscrit sous l’étiquette de « cinéaste africain » et d’affirmer : « Je suis un cinéaste, c’est tout». Dès nos jours Fatou Diome, Fouad Laroui ne mettent-ils pas en lumière différentes marginalisations de l’individu ? L’écriture de Fawzia Zouari, ne plaide-t-elle pas pour la construction d’une identité plurielle de la femme ? Si dans Ségou Maryse Condé avait écrit un roman des origines, son écriture s’engage-t-elle pas en faveur d’adolescents insoumis, de femmes non-conformistes, enfin de sujets dominés par un ensemble varié d’institutions? La participation d’un monde global implique se faire écho des problématiques comme le développement durable, la responsabilité sociétale des États ou la crise identitaire de l’individu scindé entre tradition et post-modernité, chacun de ces phénomènes étant une composante du processus de mondialisation qui domine notre temps.
A l’échelle africaine, la globalisation comprise comme une interrelation de tous les peuples du marché mondial s’avère une gageure succédant à celles que le continent a auparavant relevées : l’esclavage et la traite, la colonisation, les Indépendances, la post-colonie. A chaque épisode, des logiques identitaires ont imprimé leur sceau au cœur des populations d’Afrique, qui à leur tour, les ont transcendées, puisque l’identité concerne l’être dans sa manière de se concevoir soi-même, l'autre, et leur situation au monde. De ce point de vue, les pays subsahariens dont les frontières sont tracées par les puissances coloniales en négligeant le substrat traditionnel, par quel biais ont-ils construit une Histoire commune ? Changement de l’identité, pluralité, hybridité sont des concepts qui reviennent souvent dans l’expression artistique contemporaine, de même que la mémoire, vu qu’elle peut devenir un outil pour la quête identitaire. Ainsi, le chanteur américain Akon tient à susciter chez les Afroaméricains le désir de redécouvrir la terre des origines, les terres de leurs ancêtres. Ce mouvement du retour à la terre mère en évoque un autre, celui du rastafarisme dans les années 1930, qui souhaitait le retour des Jamaïcains en Éthiopie. Ce n’est pas la première tentative : au lendemain de la Première Guerre mondiale, le mouvement Back to Africa visait à “amorcer un retour massif vers une terre promise, l’Afrique” (Bonacci : 255). Car parallèlement il est difficile d’oublier que souvent l’identité est associée à la territorialité, ce qui exige une réflexion sur l’espace : comment est-il perçu par les Africains ? L’évocation d’un lieu de mémoire, sert-elle à offrir une vérité du passé ? Y a-t-il une vision africaine de l’Histoire ou bien le regard des Africains est à la recherche de l’universalité ? Quelle est la recréation actuelle des espaces matriciels que les Africains reproduisent dans les métropoles ? Comment se construit la relation entre les villes, les pays et l’histoire de tout un chacun ? quel type de sociabilité s’inscrit dans ces lieux ? espaces de loisir, espaces individuels, collectifs, conflits des espaces... droit et gestion des espaces, perception des espaces offrent autant d’enjeux à l’africain, qu’il se trouve dans sa région autochtone ou dépaysé, ailleurs : le concept « métropole » reste encore valable pour les sociétés de notre temps ?
 
Dans le tout, il s'agirait d’observer comment les africains appréhendent le monde et les peuples qui l’intègrent. Quelle est l’articulation de la mémoire dans ces communautés africaines. Par quels biais elle se construit et organise ? comment "garder" les expériences vécues de deuil, de violence ? comment organiser l’histoire ? Quel est le rôle du pouvoir politique et de la gouvernance ? quel espace pour le religieux ? la loi est-elle capable de gérer cette entreprise mémorielle ? Naturellement les aperçus artistiques auraient bien de choses à dire là-dessus... Les propositions de communication sont à énoncer selon les axes suivants (ou tout autre axe jugé pertinent en rapport avec la thématique du congrès) :
 
  • Mémoire individuelle et/ou collective à l’époque contemporaine
  • Devenir historique et construction identitaire
  • Mémoire, identité et expression artistique
  • Sentiment d’identité : référents d’unité, d’appartenance
  • Lieux de mémoire, géographie et construction identitaire
  • Droit, mémoire et identité
 
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
 
Bauman, Zygmunt, 2017 (posthume), Retrotopia , trad, par Frédéric Joly, Premier Parallèle.
Bonacci, Giulia, 2002, “Le ‘Rapatriement’ des Rastafaris en Éthiopie. Éthiopianisme et retour en Afrique”, Annales    d’Ethiopie,    vol.    18,    <www.persee.fr/doc/ethio_0066-2127_2002_num_18_1_1025> : 253-264.
Bugul, Ken, 2000, « Écrire aujourd'hui : questions, enjeux, défis », in librairie numéro 149, « Actualités littéraires 1999-2000 », octobre-décembre.
Collot, Michel, 2014, Pour une géographie littéraire, Paris, Corti.
Hirsch, Marianne, 2014, « Postmémoire », Témoigner. Entre histoire et mémoire, 118, p. 205-206. 
Ledoux, Sébastien, 2016, Le devoir de mémoire, une formule et son histoire, Paris, CNRS édition. 
Le Gouriellec, Sonia, 2022, Géopolitique de l’Afrique, Paris, PUF, coll. « Que Sais-Je ? ». 
Moura, Jean Marc, 1999, Littérature francophone et théorie postcoloniale, Paris, PUF.
Ricoeur, Paul, 2000, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Le Seuil.
Westphal, Bertrand, 2007, La géocritique, réel, fiction, espace, Paris, Éditions de Minuit.
 
CALENDRIER
 
Avant le 30 novembre 2023 : envoyer une proposition d’une longueur maximum de 300 mots, mentionnant le nom de l’auteur et son rattachement institutionnel, aux adresses suivantes : carme.figuerola@udl.cat ; bmr.toulouse@gmail.com
1ère quinzaine janvier 2024 : réponse des organisateurs du colloque


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COLLOQUE INTERNATIONAL

UR CERES

Chaire Francophonies et Migrations

Dans le cadre du projet LAMVEC
(Les Afriques, Mouvements, Vulnérabilités Et Créativité)

Institut Catholique de Toulouse
26 & 27 octobre 2023
 
Imaginaires occidentaux et pensée africaine

Si la colonisation antique avait abordé les côtes africaines (Ifriqiya) pour mieux cerner le pourtour méditerranéen et y puiser des richesses, la conquête se limitait aux colonies du nord du continent sans pénétrer au-delà des premières dunes sahariennes, Hasan Ibn Muhammad al-Wazzan dit « Léon l’Africain », poussa la découverte au-delà, jusqu’à Tombouctou. Dès lors, le mythe de la cité des sables est lancé et nourrira l’imaginaire des Occidentaux séduits par les récits de voyageurs européens, tels René Caillié.
Au xviiie s, l’engouement pour la cartographie lance des explorateurs dans toute l’Afrique subsaharienne, en particulier les Anglo-Saxons qui arpentent l’Afrique de l’ouest à l’est Les Français, bien que moins aventureux, sont soutenus par des sociétés scientifiques et/ou par les gouvernements successifs et se lancent dans l’exploration de l’Afrique subsaharienne.
Ainsi, au fil du temps, les voyages de découvertes s’orientent-ils vers des missions militaires accompagnées parfois d’évangélisation. Parmi ces figures, il faut retenir celle de Pierre Savorgnan de Brazza (Au cœur de l’Afrique 1875-1887, 1888) qui se démarque par sa volonté de comprendre les populations et qui reconnait la réalité de leur civilisation, a contrario de la doxa qui les considérait a minima avec condescendance et le plus souvent, avec mépris. D’autres, poussés par leur propre envie de découverte, attirés par le mystère du Sahara ou du Maroc jamais colonisé : Henri Duveyrier, Camille Douls, Charles de Foucauld, Michel Vieuchange, pénètrent des espaces interdits ou méconnus.
Le succès remporté par ces récits de voyage diffuse des images impressionnantes dans l’esprit de leurs contemporains que redoublent les expositions coloniales. Si les intentions premières de ces voyageurs reposaient sur une forme de curiosité intellectuelle, très vite, elles sont utilisées politiquement et/ou se font prétexte à une colonisation au motif civilisationnel ou religieux (Livingstone).
Les images mentales prennent vie en Europe par le biais des diverses expositions coloniales organisées par les différents gouvernements de la République des années 1889 à 1937 pour ce qui est de la France. En province, elles se succèdent avec plus ou moins d’importance (Lyon, 1894, Rouen, 1896, Rochefort, 1898, Marseille, 1906 et 1922, Strasbourg, 1924, La Rochelle, 1927), mais c’est à Paris qu’elles trouvent toute leur dimension dès 1889,1906, 1907, et particulièrement en 1931 avec l’exposition coloniale internationale de triste mémoire. Il s’agissait, outre l’intention de démontrer les bienfaits de la colonisation, de mettre en exergue la puissance coloniale française, l’étendue de son empire destinée à rivaliser avec celle de la Grande-Bretagne. Pour être une prouesse architecturale dans la figuration des diverses cultures attachées aux colonies, l’exposition présentait surtout une vision stéréotypée des contrées, des peuples et des civilisations. Les colonies africaines du Maghreb et des territoires subsahariens étaient réparties en zones distinctes dans l’immense espace dédié à l’exposition, sans pour autant que soit précisé s’il s’agissait d’un protectorat ou d’une colonie. La foule de visiteurs (8 000 000 d’entrées) s’est imbibée des présentations qui ont conforté les préjugés, simplifications et stéréotypes déjà diffusés par la publicité qui avait annoncé et promu cet événement mondial dont les échos restèrent longtemps présents dans les esprits. Il faut mentionner qu’à cette occasion se sont révélés et faits entendre des mouvements politiques anticolonialistes qui recueillent de plus en plus d’audience auprès des partis de gauche. Subsistent de l’événement, le musée de la Porte Dorée et quelques monuments assimilés à l’espace parisien et quelques pièces d’artisanat dans les réserves du musée du Quai Branly Néanmoins, cette exposition pour éphémère qu’elle fut a donné lieu à des photographies reprises dans les journaux et magazines, diffusant l’idée de la primitivité des peuples noirs d’Afrique. Dénoncées sous l’appellation de « zoo humain » , les mises en scène du Bois de Vincennes de Kanaks « cannibales » transmettent l’association « Africains-Noirs-danger », ce que Hergé développe dans Tintin au Congo (1931), album qui a tant fait polémique.
À ces éléments s’ajoute une littérature rédigée par des Français natifs des colonies ou ayant résidé sur ces territoires qui contribuent largement à nourrir l’imaginaire partagé entre « le bon et le mauvais sauvage ». Cette littérature coloniale, le plus souvent située aux Antilles ou au Maghreb, imprime souvent une vision partiale, qu’elle se situe dans l’idéalisation ou la critique. C’est ici sans doute, que se dessine la frontière entre les « deux » Afriques, l’une dite « blanche », baignée d’un exotisme oriental, et l’autre, dite « noire », qui demeure inquiétante, dans une forme d’association primaire entre la couleur de peau, la nuit, voire le diable, en prolongement des écrits dans l’esprit de Gobineau et imprégnée d’une justification esclavagiste. A cela s’ajoutent des critères physiques, soutenus par l’Ecole anthropologique de Paris, relayés par des publications américaines (Josiah Nott, 1854) légitimant ainsi l’esclavage en faisant des Noirs des êtres quasi hybrides entre l’homme et l’animal.
Il faut noter que parallèlement, des scientifiques développent des théories sur l’origine des peuplements en Afrique, et s’interrogent sur les différences anthropométriques, très en vogue au xixe s, à partir du texte biblique de l’épisode de Noé et de ses fils dont Cham qui porterait le péché par sa couleur de peau. Les liens établis entre religion et une anthropologie encore balbutiante, constituent une lecture particulière de l’Afrique orientale et jusqu’aux actuels Burundi, Ouganda et Rwanda avec les distinctions physiques établis selon des critères le plus souvent esthétiques et théorisés entre Tutsi, Hutu et Twa, plaçant les premiers dans la catégorie chamitique, c’est-à-dire dans la lignée biblique.
Naturellement, les découvertes et études plus récentes, publiées dans les années 70, ont démenti ces théories et prouvé leurs dérives. Néanmoins, des traces en subsistent dans l’imaginaire collectif, certes atténuées, mais qui tendent à stigmatiser certains Africains en les rangeant dans un fonctionnement primitif qui justifie ou explique les problèmes des États, voire les guerres et les massacres.
Par ailleurs, dans un contexte littéraire, pour novateur qu’il soit, le mouvement de la négritude porté par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor rêve d’une Afrique-Mère qui relève davantage du mythe nostalgique des origines perdues que d’une réelle parenté culturelle. Cependant, la célébration poétique de l’Afrique ouvre des perspectives vers la reconnaissance d’un espace porteur de valeurs et de beauté. Ce message sera perçu dans le monde artistique.
En effet, d’autres voix se font entendre, à commencer par celle de Michel Leiris (L’Afrique fantôme, 1934) qui, bien que fantasmée et tournée vers les mystères du sacré, distrait les regards de la conception négative et primaire du continent et célèbre une esthétique dont se sont emparés les artistes (Ecole de Paris).
Sur le plan politique, le PCF prend position contre le colonialisme, comme il avait condamné l’exposition de 1931, et dénonce, à l’identique de Gide (Voyage au Congo, 1927), le travail forcé, mais se place davantage sur le plan des Droits de l’Homme avant la lettre, que sur des considérations culturelles. En conséquence, la négation de la culture ou sa négligence, s’accompagne de celle de l’Histoire, non pas dans l’ignorance, mais dans ce qu’elle n’a aucun retentissement sur le plan international, sorte de passé en marge et donc dépourvu d’historicité ainsi que le démontrent Cheikh Anta Diop, Ali al'Amin Mazrui, Alfred Adler, en écho d’une topographie longtemps privée d’exactitude.
Pour autant, l’imaginaire et l’utopie ne sont pas seulement le fait d’Occidentaux ou de quêteurs d’identité, mais relèvent aussi, dans une certaine mesure, des pays africains eux-mêmes, soit dans le rêve nassérien du panarabisme, et plus encore, dans l’idéal panafricanisme avec toutes les interrogations et les complexités qu’il entraîne.
Contrairement à la doxa qui veut que la littérature repose sur la fiction et par suite sur l’imaginaire, ce sont pourtant bien les écrivains africains subsahariens eux-mêmes, depuis la période des indépendances, qui ont œuvré à défaire les nœuds de la confusion et de l’européocentrisme (Todorov) en révélant de roman en roman, la créativité africaine, ses vulnérabilités succédant au colonialisme, ses erreurs, mais aussi ses richesses et ses valeurs. Aux nombreuses voix masculines (Ahmadou Kourouma, Amadou Hampatê Bâ, etc.) se joignent celles des femmes (Aminata Saw Fall, Fatou Diome, etc.).
Pour ce qui est du Maghreb, les relations diplomatiques anciennes (Louis XIV / Moulay Ismaël) ont permis d’approcher le Maroc de manière plus précise, tout comme la Tunisie, l’Algérie demeurant ignorée jusqu’à la colonisation française, mais souvent mises en scène ensuite par les peintres orientalistes. Néanmoins, là aussi, la littérature sera propice à défaire des préjugés, notamment en ce qui concerne les Amazighen, dont certaines légendes faisaient les descendants de Croisés européens égarés en Berbérie…
Dans ce contexte où le droit prend une certaine dimension de « science auxiliaire » d’une littérature mythique et d’un narratif marqué par les espoirs suscités par les indépendances et le panafricanisme, la question se pose des réalisations juridiques concrètes de l’intégration régionale. Les institutions internationales africaines sont nombreuses, leurs textes sont variés et riches, parfois novateurs (on pense au Protocole africain relatif aux droits des personnes âgées), souvent ambitieux (à l’image de la Zone de libre-échange continentale). Mais ont-elles un impact effectif ? Il ne s’agit pas de nier leur existence et leur fonctionnement institutionnel, qui s’exprime à Addis-Abeba pour le siège de l’Union africaine, à Banjul et à Arusha pour le système africain de protection des droits de l’homme et des peuples, entre autres. Il s’agit de voir si ce discours juridique commence à avoir une prise sur le réel et à orienter l’action politique, économique et sociale des Etats africains et de leurs partenaires, à l’instar des institutions européennes et de leur production normative intense, souvent citée comme une source d’inspiration du panafricanisme contemporain. Le droit est-il un des moteurs du développement africain, et son empire s’étend-il toujours dans les relations humaines du continent ? Quel avenir pour des institutions en difficulté comme la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ?

Le projet LAMVEC qui s’est donné pour objectif principal de restituer une vision des Afriques dans l’intégrité de leur réalité, s’est intéressé dans une journée d’étude au génocide rwandais (24 mars 2023), si souvent réduit à un règlement de compte ethnique. La proposition de ce colloque consacré aux imaginaires qui ont restitué des contre-vérités en créant une Afrique monolithique, primaire, et raciale quand elle se nuance (Galla vs Cafres), fera appel à plusieurs disciplines des sciences humaines. De même, il sera question d’examiner les vulnérabilités africaines dans leurs tentatives d’union politique et économique qui, elles aussi, relèvent d’un idéal que la réalité met souvent à mal.
Enfin, il sera bienvenu d’observer l’évolution des juridictions, les dispositions prises par les organismes internationaux qui permettent d’observer un contre-pouvoir, apte à redonner à l’Afrique sa réalité et de tisser de possibles réparations aux imaginaires comme aux dérives politiques.

Ainsi sont proposés plusieurs axes :
1 La géographie de l’Afrique : fantasme, science et politiques.
Frontières « naturelles » et frontières « artificielles » en Afrique.
Les frontières africaines à l’heure de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Les limites variables des Afriques.

2 Evolutions de la représentation de l’Afrique : quels imaginaires ?
Les récits de voyage : construction d’un mythe africain (Léon l’Africain, les explorateurs René Caillié, Michel Vieuchange, André Gide, David Livingstone, Henry Stanley, Savorgnan de Brazza …) et théories juridiques.
Le mythe hamitique et ses conséquences historiques
Imaginaire et berbérité
La négation de la part africaine du Maghreb : un orientalisme égaré
L’Afrique réinventée et mythifiée comme la Terre Mère unifiante (négritude)
L’ethnographie en question (Michel Leiris)
La parole littéraire des Africains ou la difficile restitution d’une réalité / d’un imaginaire 

3 Représentation et présence de l’Afrique dans les arts (peinture, cinéma, musique, photographie)

4 Décolonisation et « naissance » de l’Afrique indépendante au pluriel :
comparaison institutionnelle et sociale des décolonisations britannique, française, portugaise et espagnole.  
Le droit contribue-t-il à la création d’une conscience africaine, politique et/ou doctrinale ?
La Francophonie institutionnelle, les Francophonies et la Françafrique en question
Le panafricanisme : mythe, réalité et dynamisme institutionnel.
Initiatives et combats pour l’effectivité du droit international en Afrique.

Les propositions sous forme de résumés (2000 signes maximum) devront parvenir avant le 15 mai 2023 à imaginaires.afrique@chaire-francophonies-migrations.fr
Une bibliographie des ouvrages étudiés/consultés ainsi qu’une notice biographique seront appréciées.


Bibliographie sélective


Adler, Alfred, Hegel et l’Afrique. Histoire et conscience historique africaines, Paris, CNRS éditions, 2017. 
Angelier, François, Dictionnaire des Voyageurs et Explorateurs occidentaux, Paris, Pygmalion, 2011.
Badji, Mamadou, Introduction historique à l'étude des institutions publiques et privées de l'Afrique au sud du Sahara (VIIIe siècle-XXe siècle), Aix-en-Provence, PUAM, 2021.
Cheikh Anta Diop Antériorité des civilisations nègres, mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence africaine, 1967.
Chrétien, Jean-Pierre, Rwanda, racisme et génocide. L’idéologie hamitique, Paris, Belin, 2013.
Dulucq, Sophie, Écrire l'histoire de l'Afrique à l'époque coloniale, Karthala, Paris, 2009.
Galetti, Florence, Les transformations du droit public africain, Bruxelles, Bruylant, 2005.
Gide, André, Voyage au Congo, Paris, Gallimard, 1927.
Hodeir, Catherine, Michel Pierre, L’Exposition coloniale, Paris/Bruxelles, Complexe, 1991. Édition réactualisée, Paris, Éditions André Versaille, 2011, Édition actualisée, avec avant-propos et postface, Archipoche, 2021.
Kébé, Abdou A. A. et alii (dir.), Etat de droit et minorités en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2022.
Le Floch, Guillaume et alii (dir.), La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples : bilan et avenir, colloque de Rennes, 2021, non publié.
Le Gouriellec, Sonia, Géopolitique de l’Afrique, Paris, PUF, coll. « Que Sais-Je ? », 2022.
Mazrui, Ali al'Amin, La méthodologie de l'histoire de l'Afrique contemporaine, « Problèmes de l'historiographie africaine et philosophie de l'« Histoire générale de l'Afrique » », UNESCO, 1984  p. 15-27.
Monnier, Yves, L'Afrique dans l’imaginaire français (fin du XIXe -début XXe s), Paris, L’Harmattan, 2000. 
Ndiaye, Moustapha, La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone, Paris, Dalloz, 2021.
Riche, François Bilong Nkoh, Essai sur la méthodologie de la production normative et scientifique en Afrique subsaharienne, Aix-en-Provence, PUAM, 2022.
Savorgnan de Brazza, Pierre, Au cœur de l’Afrique, Paris, Phébus, 1992.
Tchikaya, Blaise, Le droit de l'Union africaine. Principes, institutions et jurisprudences, Paris, LGDJ, 2019.
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